Déjà on commence comme ça : vous ne trouverez dans ma famille aucune, je dis bien aucune raison de vous ébahir. Personne de glorieux, ou à la destinée fantastique. Non, d'autant que je puisse remonter, rien que du lisse, du "dans les clous".
N'empêche que je vais vous parler de mon grand-père, Maurice, aujourd'hui défunt.
Maurice était mécanicien en province, dans un petit pays nivernais, pas très loin de Cosne d'ailleurs.
On parle d'une époque où le moteur Diesel était surtout bon pour les poids-lourds, l'électronique limitée au poste à transistor, où on savait tenir un tournevis et où on travaillait à l'oreille. Oui, je vous parle des années 50 et 60.
Déjà, voyons ce qu'était Maurice...
Maurice était une tête brûlée. Oui m'sieurs-dames, et il ne me botterait pas le cul pour écrire ça. D'abord il a traversé la France sous l'occupation, de la Nièvre à Lorient pour aller chercher son frère, naturellement sans Ausweiß mais aussi avec une mitraillette. Faut dire que la paperasserie c'était pas vraiment son fort.
Après, il a été envoyé au STO. Naturellement il s'est évadé.
Et enfin, une fois que la paix a éclaté, il a rien trouvé de mieux à faire que de s'engager pour l'Indochine sur un pari. Déjà ça vous classe le bonhomme dans les durs à cuire, je crois.
Revenons aux années 50-60.
C'est ce qu'on appelle les 30 glorieuses. La motorisation de masse avance lentement, on passe de la mobylette à l'automobile. Maurice, mécano donc, ouvre son garage dès la fin des années 50 si ma mémoire est bonne.
Toute une génération de véhicules passera dans son atelier, que de la voiture de série. Pas question de compétition. Anyway personne ne court et y'a rien pour courir non plus, c'est vite fait.
A l'époque, la mécanique faisait vivre son homme, et puis on était un peu artiste... Ou plutôt le prince du tumulte, puisqu'il pouvait le déchaîner et également le faire taire. Maurice a rapidement eu un réfrigérateur et un téléviseur. Luxe suprème, il a même eu un pont.
A la campagne, c'est pas parce qu'on était mécanicien automobile qu'on avait peur dès qu'on avait plus de 4 cylindres. Les agriculteurs se mécanisaient, et à cette époque du tout mécanique, il n'y avait pas grande différence. De même, il n'était pas rare que le transporteur local vienne le chercher, parfois en pleine nuit, pour dépanner un bahut en carafe. C'était ça, l'époque glorieuse.
C'est également sa voiture personnelle qui, un temps, servit de corbillard. Une bonne vieille 404 commerciale, blanche.
Rien que sa liste de voitures est représentative de l'époque : 403 commerciale, 404 commerciale puis familiale, 504 TI (montée à 250,000km à l'époque où ce n'était pas si courant tout de même, changement de moteur puis revendue), 504 TI automatique, puis 305 Diesel.
Sa fidélité à la marque sochalienne n'est pas seulement due à son statut d'Agent, mais également au fait que jusqu'à récemment, la firme était une boutique de techniciens. Le design n'était pas si important, seule la technique comptait, ce qui explique leur confortable fiabilité et le fait que les gens qui les concevaient pensaient "comme lui".
Mécanicien également par passion, Maurice. Il se rendait régulièrement au Salon, et sa dernière voiture (la 305 donc, achetée d'occase en 89) avait eu droit, comme les autres sans doute, à une customisation (aujourd'hui on dirait tuning, mais Maurice c'était propre comme si c'était monté d'usine), longues portées Cibié dans la calandre et moumoute bleue (assortie à la voiture donc).
Comme tous les gars de son époque, il aimait la mécanique. Mieux, il était la mécanique. Capable de diagnostiquer n'importe quoi à l'oreille. Même bourré, le diagnostic était fiable d'ailleurs
et comme tous ceux de son époque, il haïssait l'électronique, sombre boîte noire, nid à emmerdes qui te plante sur le bord de la route, bon pour la dépanneuse. Pour lui, la valise ça servait à mettre les fringues quand tu partais en voyage. Le terme même de valise de diagnostic devait lui décoller les tatouages.
Mine de rien, il a engendré une lignée de graisseux, puisque deux de ses fils furent mécaniciens (même s'ils n'exercent plus), ainsi que mon frère (pareil). Faut croire que j'ai évolué, puisque j'ai choisi l'électronique (mais je suis quand même branché par les systèmes embarqués, comme quoi...). Et mine de rien, même retraité, il connaissait le marché, ce bougre ! La 405 SRI ? "Belle bagnole, marche bien... Mais se vend comme un cercueil à deux places !" (entendu en 1989 également).
Une autre ? "le Diesel, c'est l'avenir" (1992 de mémoire). Mon frère et moi étions surpris, on n'y croyait pas. D'ailleurs on se pose la question encore aujourd'hui : prophétie ou dernier refuge d'un anti-électronique (le Diesel était alors le dernier bastion du tout mécanique) ? Aucune idée, mais il serait sûrement content de savoir qu'il avait vu juste, le bougre... Même si c'est blindé de silicium.
J'ai pas beaucoup de photos de lui, celle-là me plaît beaucoup. Souvenez-vous, y'avait une époque comme ça :
Années 60 ou 70, à l'entrée de son garage. A côté, il s'agit de sa femme, qui tenait les comptes. Notez le tableau Michelin pour les gonflages. La cotte et le clopiau sont de série. Ah oui, à une époque aussi on pouvait fumer sans être considéré comme un pestiféré ou un crimilel.
Edition pour une petite modif : "toute une génération de véhicules passera, c'est quand même plus correct. Ca m'énervait beaucoup.