Déjà, si vous préférez le confort d'une version PDF, G.T y a pourvu :
C'est quand même beau quand il déchaîne la puissance de son PC !1. IntroductionUne fois encore, je ferai du monomarque… mais c’est largement assez intéressant et hors
norme pour passer inaperçu.
Déjà, intéressons-nous au fait qu’un constructeur de province se retrouve à rêver d’expansion
et d’exportation dans un domaine aussi spécifique.
2. Contexte historique
2.1. L’entrepriseFondée par Marius Berliet (1866-1949), la société des Automobiles Berliet, sise depuis
toujours à Lyon, construit des véhicules utilitaires et des automobiles. En fait, Berliet viendra à l’utilitaire bizarrement, dérivant les structures d’une automobile pour en faire un camion.
Accusé de collaboration avec l’occupant, l’usine sera confisquée, plus ou moins nationalisée et avec une tentative de soviétisation, puis rendue en 1949. C’est Paul Berliet qui succède à son père. Elle est alors en piteux état, ayant subi des dégradations, et le personnel ayant parfois disparu. Car si l’usine a collaboré avec l’ennemi (au même titre que les autres), c’est de la même façon : rythme minimum et sabotages.
Paul reprend donc les rênes de l’entreprise. Pour lui, comme pour ce fut le cas pour son père, c’est évident : il faut produire du matériel cohérent, c'est-à-dire fiable et performant. Ainsi sort le premier vrai nouveau produit de la firme : le GLR, un porteur de 7t de charge utile, aux nombreuses innovations : cabine tout acier, confort accru (et même en avance sur son temps), moteur 5 cylindres en ligne Diesel. Il démodera instantanément ce qui roule alors, y compris les GDM et GDR auxquels il succède.
Sur cette base sortira toute une gamme de modèles : GLC (4 cylindres), GLM (6 cylindres), puis TLC (5 cylindres) et TLR (6 cylindres), GBC avec un tandem arrière, et ainsi de suite.
2.2. Vers les géants du désertRappelons que la France, à l’époque, dispose encore de nombreuses colonies, et que le
marché du poids-lourd est encore hyper national : les véhicules étrangers sont rares.
Berliet lorgne depuis longtemps vers l’international : son symbole de la locomotive vient
d’une vente de licences au début du siècle à l’American Locomotive Company, le récent GLR fait de bons résultats en Allemagne (et particulièrement dans la Sarre), mais l’unité
brésilienne (Berliet do Brazil) vient de fermer, après l’assemblage des GLR, pour raisons
diplomatiques, évènement oublié de l’histoire : la crise du café.
- La crise du café brésilien vient du fait, en 1955, que le gouvernement tente de vendre du café à la France. Or, la France tient à protéger son empire colonial et refuse.
S’ensuit un boycott des produits français au Brésil, et Berliet se voit contraint de
fermer son usine quasi neuve. Pour la petite histoire, les autres s’engouffreront dans la
brèche, comme Mercedes qui y fondera Mercedes do Brazil, unité toujours en activité
aujourd’hui.
Ce siècle moderne qui n’en est qu’à sa moitié, a besoin de moyens de transports qui puissent aller partout, rapidement et de façon fiable. C’est dans cette optique (et lorgnant au sud) qu’un essai du GLB 4x4 est effectué dans le désert saharien.
Il apparaît rapidement que le véhicule est inadapté : trop lourd de l’avant et à la charge utile trop limitée (3,5t de CU à peine, 4 sur route).
C’est ainsi qu’apparaît le GBC 8 « Gazelle », qui deviendra emblématique, prenant la
succession des Berliet envoyés dans le désert dès les origines (un des plus anciens fut le CBA, primé au concours militaire de 1913).
Le GBC, comme son nom l’indique, est un porteur 6x6, équipé du même 5 cylindres que le
GLR, poussé à 125ch. Sa cabine est derrière le capot, dans l’optique de recentrer les masses. D’ailleurs le poids est quasiment identique sur chacun des ponts, preuve d’un équilibrage soigné. La cabine est appelée « Tropic », et dispose d’une large visière et d’un pare-brise ouvrant en deux parties. Cette cabine sera aussi proposée sur le GLR routier (au moins à partir de sa version M2, en 1960).
Ce camion se rendra célèbre non pas en accomplissant la mission « Berliet Ténéré » (fin
1959-début 1960) mais en participant au film « 100,000 dollars au soleil » (où Jean-Paul
Belmondo (Rocco), volant un TLR, sera pris en chasse par Lino Ventura (Le Plouc) en
Gazelle, souvent suivi par Bernard Blier (Mitch-Mitch) en TBO15).
Beaucoup en France ont tâté de la Gazelle, dans son dérivé militaire : le GBC8KT (qui,
profondément modifié à partir de 1995, continue sa carrière sous le nom de Renault
GBC180).
3. Fortunes (bonnes ou mauvaises) dans le désertBerliet se dote très tôt d’un département des véhicules spéciaux qui, comme son nom
l’indique, s’occupe de tout ce qui est hors-normes.
C’est sous l’égide de ce département, dirigé conjointement par MM Billiez et Girard, que vont sortir ce qui nous occupe aujourd’hui : les géants du désert.
Les camions Berliet ont roulé en Algérie dès 1909, et en 1952 et 1955, respectivement Oran et Alger recevront un centre Berliet, comme Constantine et 1959 et Ouargla en 1960. Une usine est construite à l’est d’Alger, sur un terrain de 100ha, dans la ville de Rouïba. A terme, 90% des camions roulant en Algérie seront construits là. Il faut savoir également que Berliet fournissait près des trois quarts des camions circulant dans le Sahara.
C’est en partie cette déconvenue brésilienne et les espoirs fondés en le pétrole algérien (donc français à l’époque) qui motivera la création des structures précitées.
Le plan est chronologique, les plus anciens de cette famille étant souvent encore à peu près dans les normes. Vous ne pourrez rater l’entrée dans les vrais géants.
4. La première époque : 1957, TLM-GBO-TBO4.1. TLM15Annoncé pour un PTR de 40t, il était équipé d’un moteur 6 cylindres de 15l et 200ch, aidé
d’une boîte 5 vitesses avec doubleur (10 vitesses au total, donc).
Poids maximal en charge 35t, 40t en exceptionnel, pour un poids à vide de 7,7t.
Dès 1958, il sera équipé, comme tous les moteurs Berliet, du système d’injection Magic
diminuant d’une part les consommations de carburant, et d’autre part de tourner à tous les carburants existants, même le pétrole brut (après filtrage tout de même). Ce sont les fameux moteurs polycarburants.
L’économie de carburant réalisée sur le TLM pouvait atteindre jusqu’à 20l/100 selon les
parcours.
Ca ne manque pas d’allure… Et pour le fun, un dernier, dans le fesh-fesh :
4.2. GBO, TBO
4.2.1. Versions standard (1957)Je les traite ensemble car, conformément à la dénomination en usage chez Berliet (et qui
durera jusqu’à la fin de l’existence de ce constructeur en tant que tel), le GBO est un porteur, le TBO un tracteur.
L’Algérie s’appuie sur deux réserves de pétrole qui semblent énormes : Edjélé et Hassi-
Messaoud. Ce sont également des destinations lointaines. Pour ce type de trajets, Berliet
poussera encore un peu plus loin son offre, avec les GBO et TBO.
Le TBO, c’est le bahut de Bernard Blier, pour ceux qui suivent.
Disponible en version 6x4 et 6x6, le TBO est équipé d’un moteur turbo MS640, 6 cylindres, 14.8l offrant 250ch. Pour la transmission, on retrouve une boîte 5 avec doubleur de gamme, et une boîte de transfert. La monte arrière est jumelée, avec des jantes de 25". On n’est pas là pour rigoler.
Le terrain de prédilection de ces porteurs et tracteurs seront outre les champs pétrolifères, les carrières et gros chantiers. Du lourd, là où la faiblesse ne doit pas exister. La bête pèse 19,5t en version standard et 20,5t en version longue. Le poids total en charge peut atteindre 45t, et 90t pour le convoi complet.
En 1968 une version modifiée a été créée, équipée d’un moteur Cummins NT335, annoncé par Cummins à 335ch SAE.
4.2.2. Version « pétrolier »Parallèlement à ces versions relativement « routières », des versions « pétrolier » sont
équipées d’une cabine spécifique, suspendues sur des plots caoutchouc et assemblées à
Vénissieux.
Techniquement et à part la cabine, pas de différences avec la version standard.
5. Seconde époque : les géants du désert.Nous y voilà… Le vrai hors-normes, l'extra-lourd garanti pur acier, là où les standards établis et le Code de la Route, trop exigu, s’oublient, et où seule la mission qu’on connaisse est de livrer.
5.1. GPO71 6x6 (1968)Avec seulement 5 exemplaires construits, nous nous rendons compte que l’engin est vraiment exceptionnel de par sa nature. Concurrent direct du Kenworth 953, ses premières démonstrations ont lieu en septembre 1968 sur Hassi-Messaoud – El Borma (700km A/R) et Hassi-Messaoud – Keskera (772km A/R) avec 45t de charge.
Le GPO fera Hassi-Messaoud – El Borma en 18h et retour à vide en 11h, là où le 953 faisait respectivement 23 et 17h.
Le GPO peut laisser rêveur : transmission intégrale, moteur V12 deux-temps Diesel General Motors 12V71 (71 pouces-cube unitaire, donc 13.96L de cylindrée) pour sortir 425ch au travers d’une boîte à convertisseur hydraulique Allison. Pour entendre un tel moteur (dans sa livrée 525ch) je vous recommande de vous rendre sur le sujet traitant des 2T Diesel.
Le GPO est disponible en porteur-tracteur ou en tracteur pur. Ne perdons pas de vue que dans cette gamme de tonnage, les deux sont souvent confondus. De même, le marché est tellement spécifique que 5 exemplaires semblerait presque de la grande série, et que le client n’est nullement gêné par le fait d’utiliser ce que nous penserions avec une culture automobile, être un prototype de présérie. Il s’agit quasiment, ici, de sur-mesure. La version tracteur diffère de la version porteur / tracteur par une longueur réduite de plus de 2m (9.685m contre 11.890), la différence se situant au niveau de la longueur du plateau disposé derrière la cabine. Les deux modèles sont équipés d’une sellette. Les tonnages sont aussi un peu différents : le porteur peut atteindre un PTR de 200t à faible allure et 120t en marche normale, tandis que le PTR du tracteur est de 180t (pensez au report de charge, obligatoire en poids-lourd).
Une autre habitude du transport exceptionnel est l’expression des PTR ou charges utiles
(suivant le cas) en fonction des vitesses voire du type de terrain rencontré, d’où les annonces doubles ici.
La version porteur était livrable avec deux réservoirs de 1000 ou 1400l, le tracteur
uniquement avec deux réservoirs de 700l, de par son châssis plus court.
Sinon, le porteur est annoncé à 35t à vide, le tracteur à 31t.
Par contre, et contrairement à certains véhicules vus plus tôt, la monte est simple, et comme d’habitude, saharienne.
5.2. GXO (1971)Et voilà l’ultime géant des sables… Présenté en 1970 au Salon de Paris, il impressionne.
Successeur désigné du T100, véhicule mythique et quasiment unique, il partira entre
septembre et octobre 1971 sur les pistes sahariennes pour essais et démonstrations. Toujours
confronté au Ken’ 953 – n’oubliez pas que nous sommes sur un marché de niche, donc les
mêmes noms reviennent souvent – sur l’itinéraire Hassi-Messaoud – Ghourde Yacoube
(510km), il pulvérise son concurrent, car là où les Kenworth habituels mettent 7 jours avec une charge de 30t, le GXO n’en nécessite que 4 avec une charge de 50t.
Malgré tout, le GXO ne remportera pas le marché, et restera une pièce unique. Plusieurs
raisons à cet échec commercial : en premier lieu, les difficultés rencontrées par la Sonatrach (Société Nationale Algérienne de Transport et Commercialisation des Hydrocarbures) dues à une baisse des ventes (provoquée elle-même par une baisse des ressources) qui l’ont conduit à stopper la recherche sismique (fatal dans le pétrole).
Ensuite, et découlant de ce premier point, l’achat de plusieurs matériels avait été différé.
Parmi ceux-là, l’importation de 25 Kenworth (toujours des 953) commandés depuis deux ans, que la société n’était pas sûre de pouvoir financer.
Et enfin, les dirigeants avaient une orientation clairement américaine pour le matériel. Leur proposer le mastodonte lyonnais –qui n’était tout de même pas donné, à 845000FF de l’époque - était donc une gaguere. Gageure qui, hélas, en restera une.
Intéressons-nous à la fiche technique, tant les chiffres donnent le tournis.
Il est équipé, comme le GPO, d’un moteur Diesel General Motors 2-T, de la série 71. Mais
cette fois, il s’agit d’un V16 offrant pas moins de 18.5l de cylindrée pour 530ch. C’est le type d’application typique des 2-T Diesel, et on est ici très proche des moteurs utilisés en marine (quand ce ne sont pas les mêmes).
Le moteur transmet sa force aux trois ponts par l’intermédiaire d’un convertisseur de couple et d’une boîte de vitesses automatique à cinq rapports AV et une marche AR.
Il repose sur des roues de 29,5", en monte simple, et sa vitesse maximale est de 34km/h en charge ou 61km/h à vide. Pour nourrir le monstre, on dispose de deux réservoirs de 1000l chacun.
Quelques photos tout de même :
La citerne paraît bien petite…
Déménagement de la sonde « Oil Well 840 », 1200t (Hassi R’Mel, décembre 1971)
Photo du prospectus (1970). On se rend à peine mieux compte de la taille de l’engin.
Et après… Après ça, le GXO fit carrière en Libye pour le compte d’une firme italienne, peintde couleur blanche au lieu de ce jaune si typique des pétroliers, puis fut entreposé dans un hangar de la SIVI, société dépendant d’Iveco spécialisée dans la vente de matériel de transport exceptionnel. Son état de décrépitude avancée ne laisse pas de doute…
Finalement il fut racheté et offert à la Fondation de l’Automobile Marius Berliet (Lyon), qui
le restaura et l’exposa dans son hall à côté du légendaire T100.